Dimanche 20 juin

Carnet de bord ironique d’un mois de juin iotopique

10 juin
Il fait trop chaud pour écrire, canicule, réchauffement, ressenti : 45 ° à l’ombre du frigo.
la langue est le thème du mois, la mienne colle au palais, langue cartonné, affranchir une enveloppe est exclu, dieu soit loué (pas les moyens de l’acheter), je dois écrire sur un clavier. Pas besoin de langue, de l’organe je veux dire car il faut bien tenter de me faire comprendre, ce sera le français.
Mon anglais est scolaire, mon espagnol balbusiàn et mon japonais trop martial.

12 juin
Mot imposé chouette, je planche donc sur la chouette plutôt que de la clouer sur une planche contre une grange comme l’on faisait pour les dames blanches.
Les chouettes ont une langue et un cri différent selon l’espèce.
La hulotte hulule ou chuinte, alors que le grand duc chougne et râle sans cesse (wikipédia n’est pas toujours fiable)
le cri de la chouette effraie est un « khrûh » ou « khraikh » rauque, strident et répétitif qu’on compare souvent aux ronflements d’un dormeur frigoriste insomniaque aux narines dilatées (j’ai déjà tous les mots !) ponctués de sonorités plus aiguës rappelant un peu les cris d’un joueur de tennis en passe de remporter la finale de Roland Garros.
Un peu d’ornythologie :
Chouette est le nom vernaculaire de certains oiseaux de la famille des Strigidae, qui regroupe environ 200 espèces, caractérisées comme des rapaces solitaires et nocturnes. Les chevêches sont en principe plus petites que les autres chouettes.
Les chouettes se distinguent des hiboux par l’absence d’aigrettes sur la tête (faisceaux de plumes qui, dans le cas du hibou, donnent l’impression d’oreilles ou de cornes).
Comme l’alouette se distingue du loup par la présence d’ailes et la brouette de la kangoo par si peu de choses qu’il est inutile d’en parler .

15 juin
Nuit d’insomnie. Avec la privation de sommeil et le soleil se levant, j’ai écrit par erreur en langue japonaiseすみません et ごめんなさい, désolé.
ぁげんだ いろにけ ce qui signifie a ge n da i ro ni ke, vous pouvez vérifier.

18 juin
Le frigidaire est en panne. J’ai appelé le frigoriste, il a répondu qu’il ne prenait aucun appel le 18 juin. Une vieille histoire de famille, le beau frère de sa grand-mère ayant refusé de se rendre à Londres sous prétexte que, je cite : « les anglais sont trop rigoristes », la grand-mère a compris frigoriste d’où sa vocation m’a t-il confié mais j’ai décroché, raccroché et noté cette anecdote.

20 juin
Après deux semaines de recherche acharnée d’anagrammes et un cahier de ratures, je me suis souvenu qu’il suffit de taper anagramme sur internet. Insomniaque donne anosmique, il manque un i mais anosmique me permet de placer narine, c’est toujours ça de gagné.

21 juin
Pas de carnet today.
C’est la fesse de la mutique !

23 juin
Plus que deux jours pour poster l’agenda de juin, demain je pars, voyage en train, je n’écrirai pas, je lirai, 2666 de Roberto Bolano avec un tilde sur le n et 1352 pages, je sais pas faire le tilde sur mon clavier azerty qui passe sans cesse en qwerty depuis que j’écris japonais la nuit, faudra que je rectifie cela, ce qui donne en « qwerty japonais » :
f九drq亜上じぇれ©ちふぃえ背lq,
c’est joli mais peu compréhensible et en qwerty seul :
fqudrq aue je rectifie celq

Je travaille sur une « traduction » avec un clavier fou et dans une langue imaginaire, du début de la métamorphose de Kafka en « qwerty japonais » :

En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. Il était sur le dos, un dos aussi dur qu’une carapace, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé, brun, cloisonné par des arceaux plus rigides, son abdomen sur le haut duquel la couverture, prête à glisser tout à fait, ne tenait plus qu’à peine. Ses nombreuses pattes, lamentablement grêles par comparaison avec la corpulence qu’il avait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux.

Ce qui donne à peu près ça, vous corrigerez de vous même:

En se r2veillqnt un;qtin qpr7s des r[eves qgit2sm Gregor Sq;sq se retrouvqm dqns son litm;2tq;orphos2 en un;onstrueux insecte<いl2tくぃt巣rドsm運ドs屈指づrあう4畝cqrqpq背m絵t円れぇvqんt運ぺうlqt「得てmいlヴィ™ぼ;b2mbるんm©ぉ依存2pqrでs qrセクxpぅs理着でm損qb度;円巣rぇh九tづ亜上llq工ヴぇr連れmpr「得て0gりっせr等t0fくぃ™ね店qんtpぅsあう40ぺ稲<背sの;bれう背spqってsmlq;円tqbぇ;円tgr「えぇspqr子;pqrくぃそんqvec lq corpulence au4il qvqit pqr qilleursm grouillqient d2sesp2r2;ent sous ses yeux<

Voilà ma contribution à l’agenda de juin: Langue chez Le dessous des mots:
https://ledessousdesmots.wordpress.com/2021/06/04/agenda-ironique-juin-2021/
Plus qu’à envoyer trois jours avant le 23 juin, ce qui fera un carnet de bord prémonitoire, uchronique et intemporel pour faire bonne mesure.

Samedi 19 juin

Dans la campagne une forme de joie m’a frôlé comme une aile
J’ai regardé de l’autre côté du pont dans l’île, dans la plaine
Il pleuvait du côté de Saint-Georges, l’orage
Passait au loin. Je cherchais cet oiseau
C’était hier peut-être dans un bar une fille très belle
Ou bien c’était un souvenir vieux de dix ans, une aile
Comme dans cette plaine immense cet oiseau

Jacques Bertin

Giorgione, La tempête, Gallerie dell’Accademia, Venezia, 1500/1510

Dimanche 13 juin

Fonds de court

Des bûcherons cognent sur des arbres invisibles avec des raquettes de tennis.
A chaque coup, il en tombe une balle jaune citron.

Chaque soir, un petit ramasseur de balles remonte les filets des courts.
Des centaines de balles jaunes s’y débattent.
Il doit les relâcher sur la terre battue après les avoir épousseter soigneusement une à une.

Auparavant, des boyaux de chats étaient utilisés pour confectionner les cordes des raquettes mais les miaulements stridents indisposaient les spectateurs.
Maintenant, ce sont des cordes de violons tsiganes d’où ces longues plaintes déchirantes qui montent du central.

Francisco de Zurbaran, Nature morte aux citrons et oranges avec une rose, 1633

Vendredi 11 juin

Eaux dormantes?

Cygnes trompettent
Chantonne faux le pêcheur
Mare aux canards

Brise se lève
L’étang perdu se ride
Un vieux y pêche

Grenouille cocasse
Petite raine pédale
Au tour du marais

Véronique MATTEUDI, Ultimo, ©Pascal GLAIS

Jeudi 10 juin

Cauchemar

Pour le moment, il ne se réveille pas.
Il poursuit ses fantômes, il se vautre dans la chaleur des images que fabrique la nuit.
Il y tient, il s’y accroche.
C’est ce rêve là qu’il veut poursuivre, en connaître la fin.
Il peut presque maintenant contrôler ce qui se passe, entamer un dialogue avec cet inconnu curieusement familier.
il sait que cette phrase existe, il l’a prononcée, mais pas là, pas pour cette personne, pas dans cette pièce dont il voudrait maintenant partir, la porte surgie de l’enfance devrait s’ouvrir, quelque chose s’y oppose.
Il insiste, soudain l’ouverture brusque, violente.
Une forme sombre, sans visage, sans contour, sans paroles, se tient derrière.
Il hurle, il sait que le son franchit ses lèvres, que son cri est hors de sa nuit.
Il ne se réveille pas, pas encore.
Puis le monde des images fait effraction dans celui de la chambre.
Il est rejeté, expulsé du passé dans la pénombre familière.
Le quotidien s’abat sur lui.
C’est fini.

Johann Heinrich Füssli, The Nightmare, 1781

Samedi 29 mai

Rediffusion du 5 mai 2020, tant il est vrai que le jour d’après persiste à s’éloigner,
devenant le jour d’à peu près…

Le jour d’après

Prendront fin un jour ces mois de distanciation, d’évitement, de contorsions savantes qui n’aurons plus de secret pour nous.
Nous jouions des coudes, ondulions des hanches et montrions nos profils égyptiens sur les trottoirs et le long des couloirs.
Durant des semaines, l’autre était le porteur potentiel, le vaurien au virus, le confiné qu’on finit par ne plus supporter. Nous le croisions la tête basse, les mains dans le dos et les pas chassés.
C’est ce même autre que nous croiserons à nouveau, bardé de certificats d’immunité et de vaccination, mains ou lèvres tendues, avide de contact, de peau nette et de chaleur humaine.
Et là, catastrophe, oublis regrettables, amnésie sociale et dyspraxie relationnelle.
Nos mains se chercheront en vain, hésitantes, battantes, papillons affolés multipliant les erreurs de parallaxe, empoignant du vide, serrant et étouffant de l’air qui ne nous manque plus.
Nos bises prendront des vents, se déposant partout sauf sur les joues ou alors par hasard, baisers fortuits et furtifs à la fois, bouche-à-bouche soudains, dus seulement à la maladresse ou rappels inconscients du souffle qui a manqué à tant d’entre nous.
Nos tête-à-tête ne seront que plaies et bosses, nos face-à-face, combats de boxe.
Nous n’éviterons plus rien du corps de l’autre, double inconnu, oublié, avatar et hologramme pendant des mois, devenant réel tout à coup.
Ce ne seront que corps-obstacles à nos mouvements jusque là libres et amples. Nous dansions sur les trottoirs, chantions sous la pluie et voilà que l’autre et son opacité, sa densité charnelle, son corps encombrant est de retour.
Des mois de déconditionnement commencent; nous en sortirons plus forts, moins confinés, plus proches, retrouvant peu à peu cette promiscuité salvatrice, cet échange bactérien convivial, ces contacts sociaux si sains, prêts à nous épouiller s’il le faut.
Ainsi redevenus grands singes, primates arboricoles, nous retournerons à la nature nous ébattre avec les pangolins et les pipistrelles.

Gabriel Cornélius von Max, Singes critiques d’art, 1889

Dimanche 23 mai

Un bruit ébrange et teau

Un bruit, c’est laid comme tous les bruits, un beau bruit ça n’existe pas
Comme une poire qui pousse sur un vélo, une île plantée de cyclos
Ils feraient un bruit de roues comme des éoliennes
Un bruit de roues de vélo sur le dos qui tournent, c’est comme un vent léger, Une musique de rayons, un beau son
Un bruit reste un bruit, bruyant donc discordant, un tintamarre
Ou alors c’est une mélodie étrange et belle
Ou un bruit choisi, décidé, dessiné comme des notes de musique, comme une bulle de BD
Tout est possible alors
Le cyclo pousse déglingué, hurlant des freins, écrase des poires, elles font Splash !, Smash ! Chlouf !
Le poirier tombe dans un fracas magnifique
l’île sort de l’océan dans un vacarme de début de monde
Le vent sur une île des Cyclades
Le bruit improbable d’un poirier qui pousse
Serait très étrange et très beau

Mais qui pour l’entendre ?

Pour l’Agenda Ironique de Mai proposé par Laurence Délis

https://wordpress.com/read/feeds/16819692

Samedi 8 mai

J’ai toujours paru plus jeune que je ne l’étais réellement.
A cinq ans, on me donnait à peine six mois et je me réjouis à l’idée que personne ne croira à mes cent vingt ans quand je franchirai d’un bond les cinq marches de l’EHPAD pour courir mes vingt kilomètres quotidiens en sifflotant Eye of the Tiger.


Mercredi 5 mai

Nous sommes de toute façon conçus pour aller de l’avant sinon nous aurions des yeux derrière la tête, au moins un pied tourné vers l’arrière et un tourne dos.
Le passé nous mord les talons, l’avenir danse devant nos yeux, le présent est posé sur le bout de notre nez.


Pablo Picasso, L’acrobate bleu, 1929