Samedi 29 janvier

Un bon glaçon

J’ai toujours été un bon glaçon.
Désiré ardemment par mes parents, né au pied d’un iceberg, bien au froid, dans sa partie immergée, je grandis entouré de courants froids, de manchots ivres de vent et de poissons argentés.
Un ours bipolaire répondant rarement au nom de Blanchette fut mon seul soutien après la fonte prématurée de mes géniteurs dans un Martini on the rocks du coté de Monaco.
Blanchette souffrait constamment de décalage horaire et de cors aux pieds soigneusement entretenus par ses voyages annuels du pôle nord au pôle sud.
Bien sûr, les esquimaux me battaient froid, les inuits comme les yakoutes, les yupiks comme les aléoutes.
(Je dois à la vérité de préciser que les yakoutes ne sont pas vraiment des esquimaux et vivent en Sibérie, lieu de villégiature de l’hiver.)
Mais n’en parlons plus, n’en disons plus rien, le silence est l’apaneige de la banquise avec la solitude.
Seul, donc, je fus le premier à ressentir les effets du changement climatique.
Oui, ce fut moi le lanceur d’alerte du pôle et ce fut l’épaule d’Arlette qui accueillit ma première larme.
Arlette venait du delta du Yukon-Kuskokwim et elle fut mon seul amour, platonique évidemment. Imaginez un glaçon amoureux…
Un jour, Arlette a mis les bouts et je fondis de plus belle. Ce ne fut pas le chagrin mais le réchauffement climatique qui en fut la cause. Arlette revint et fit tout pour me refroidir, me tenir à l’écart, me recouvrir de neige éternelle mais je persistais à disparaître.
Appelée à mon chevet, Blanchette m’emporta plus au nord, là où vivait Paul, mon pote depuis l’ère glaciaire. Paul est un permafrost branché mammouth congelé, c’est dire si j’avais une chance mais même le pergélisol, ( en russe : вечная мерзлота, vetchnaïa merzlota) comme chacun le sait désormais, commença à fondre…
Ne restait plus que la solution désespérée, le voyage vers le pôle sud en compagnie de Blanchette.
(Voir la carte pour les détails, disons que je fus transporté à bord d’une glacière en plastique bleue, et cela dira tout de mon désarroi. )
Un voyage au bout de l’inuit, je sais c’est facile, mais souvenez vous que je rétrécis, je ne suis plus qu’un apéricube moi qui avait la taille d’une armoire à glace, d’un glaçon d’étage, d’un frigo américain.
Blanchette me déposa prés de la chaîne de la reine-Maud, -60° au soleil au cœur du mois d’août, le paradis blanc.
C’est de là que j’écris à Arlette, chaque jour me vois croître, redevenir le grand glaçon que j’étais, le mister freeze, le roi de Tulé, la terreur du bac à glace, surnommé par les esquimaux (il n’y en a pas au pôle sud mais ce récit ne prétend pas à toute la vraisemblance): Arpiit paurngait iviit urpigaq
Ce qui signifie à peu près « celui qui cambriolait la banquise ».

Texte publié en octobre 2020, un glaçon resucé donc.

Caspar David Friedrich, La mer de glace, 1823/1824

Lundi 24 janvier

Les mitaines tombent sans bruit

Qui dira la détresse des gants et autres moufles abandonnés en hiver.
Tombés d’une main lâche sur un trottoir glacé, oubliés sur un banc public, ils sont parfois encore chauds de la main qui les remplissait, qui leur donnait forme et raison d’être.
Recroquevillés, retournés parfois, ils tordent leurs doigts de désespoir vers des passants pressés aux mains gantées d’indifférence.

Vendredi 21 janvier

Fonds de tiroir

Une fois le tiroir ouvert, vous ne pouvez plus vous taire alors que les autres demeurent silencieux.
Vous allez et venez, comment parler de ce à quoi vous tenez tant et que le tiroir du bas a révélé, contient peut être, oui contient, pourquoi ne pas le dire ?
Certes , vous vous attachez très facilement mais ce contenu vous le rappelle, tout s’attache, tout est lié et Les tiroirs recèlent ce Tout. Vous, n’en viendrez jamais à bout, vous le savez mais vous devez tenter un inventaire, vous êtes le seul à pouvoir le faire, les autres ne diront rien.
Alors vous fouillez, vous touchez, vous trouvez, vos doigts palpent, identifient des formes. Vous extirpez des tiroirs, parfois avec effort il faut le reconnaître, tout ce qu’il cache si bien :
La corde pendu à son arbre, l’antivol attaché à son vélo, voilà le chien et sa laisse fixée à la niche, le licol et la vache, les menottes encore aux poignets du sicaire, les aiguilles plantées dans la pelote de laine, la morve collée au mouchoir, puis Tout s’accélère …

Le pied au boulet
La fève à la galette
Le galet à la plage
Les lacets aux chaussures
Les rives au pont
La main à la main
Le sexe au sexe
Le diplomate à l’ambassade
L’ange à la céphéide

Votre main fouille encore :

le wagon à la motrice
la feuille à la branche
les boules au sapin
la queue à la casserole
le maître à son chien
le mendiant à sa sébile
l’ écouvillon à la narine
l’ancre au bateau
la perfusion au bras

ça suffit !
Vous vous étendez sur les galets plus remord que vif.
Pieds et poings liés.
Maintenant vous écrivez, en attaché bien sur, puis sur le clavier où aucune lettre ne se lie à l’autre, ce qui diminuera votre propos tant pis, vous donnerez le change, ferez diversion grâce à ce chat tacheté qui passe, un rat taché de sang dans la gueule, sicaire payé en croquettes blanchies dans le lait d’une céphéide variable.
Vous devrez vous détacher enfin, refermer les tiroirs, effacer vos traces, rejoindre les autres et vous taire avec eux …
Que contenait le dernier tiroir que vous avez ouvert et refermé aussitôt ?
Vous le direz un jour peut être mais voudront ils l’entendre ?
Qui vous a libéré de vos liens ?

Vous laissez tomber, vous déliez maintenant, décordez, déficelez, voyez comme tout se sépare autour de vous, comme tout s’éloigne : la rive opposée, le quai, la gare, l’horizon, les autres…

Quel est ce point qui agite les bras la-bas ?
Aucune importance.
Vous vous détachez très facilement, très.
Finalement


Agenda Ironique de janvier hébérgé chez Lyssamara.

Jeudi 21 octobre

Kono aki wa
Nande toshiyoru
Kumo ni tori

この秋は
何で年寄る
雲に鳥 

En cet automne
Pourquoi dois-je vieillir?
Oiseau dans les nuages


Matsuo Bashō (松尾 芭蕉), plus connu sous son seul prénom de plume Bashō (芭蕉, signifiant « Le Bananier »), est un poète japonais du XVII e siècle.

Erwan & Ronan Bouroullec, « Clouds« 

Dimanche 10 octobre

Recyclage

On s’est rencontré un samedi à la déchetterie. Elle m’a à peine jeté un regard, mais mon vernis a craquelé.
Je portais un vieux lapin posé en 2002 que j’avais retrouvé au grenier et j’hésitais entre le recyclage des amours perdus ou, juste à coté, le bac des rendez-vous manqués.
Elle avait dans les mains un paquet de lettres d’amour usagés et les lançait une à une dans le container des souvenirs encombrants.
« A chaque jour suffit sa benne » lui dis-je bêtement. Elle daigna sourire : « J’ai un chagrin d’amour à balancer dans la poubelle des illusions trouvées mais il est trop lourd à porter, si vous… »
« Encore une rupture des années 90, un amour impossible jamais servi, deux malentendus en bon état, le tout à trier et je suis à vous…»

Le photographe Benjamin Von Wong a décidé d’utiliser son talent pour parler d’écologie. Particulièrement sensible à notre production de déchets en plastique non recyclable, il a tenté de faire évoluer les mentalités sur cette thématique difficile à aborder. A travers des clichés esthétiques et féériques mais qui restent fondamentalement tristes, il a réussi à éveiller les consciences et lancer le dialogue sur notre gestion des déchets.

Lundi 20 septembre

J’apprends la mort de Julos Beaucarne
Juste une chanson de celui qui avait « fondé » le FLAF, le Front de Libération des Arbres Fruitiers.

Dimanche 25 juillet

« C’est un être d’une affectivité intense et instable … un être jouisseur, ivre, extatique, violent, aimant, un être envahi par l’imaginaire, un être qui sait la mort et ne peut y croire, un être qui secrète le mythe et la magie, un être possédé par les esprits et les dieux, un être qui se nourrit d’illusions et de chimères, un être subjectif dont les rapports avec le monde objectif sont toujours incertains, un être soumis à l’erreur, à l’errance, un être lubrique qui produit du désordre …
Nous sommes contraints de voir qu’homo sapiens est homo démens »

Edgar MORIN
Le paradigme perdu : la nature humaine

Egon schiele, Autoportrait nu, 1916

Mercredi 21 juillet

Tricycles

Le vélo a ceci de formidable qu’il associe la ligne et le cercle.
C’est en tournant en rond que l’on avance et c’est bien nous le moteur de cette révolution: le retour du même dans la progression.

Un vélo dans un parc à huîtres n’a rien de déplacé, c’est aussi un bivalve.

Il a si bien plié son vélo pliant qu’il se retrouve juché sur une cocotte en papier.

Erwim Wurm

Mercredi 14 juillet

« Tout le jour, j’avais échappé à sa traque obstinée.
Mais là, je n’en pouvais plus. En trois bons, le lion fut sur moi.
Il me fit rouler au sol d’un coup de patte et, comme il s’apprêtait à refermer ses crocs sur ma gorge, je lui montrai le soleil qui se couchait derrière les hautes herbes:
– Ce n’est pas plutôt l’heure où vous alle
z boire? »

Eric Chevillard- Mais déjà les fourmis-2021

REMBRANDT, Lion couché, 1650