Jeudi 2 avril
« S’il pouvait penser, le cœur s’arrêterait. »
Fernando Pessoa
Assis depuis deux semaines, il contemplait les deux extrémités inertes et nues qui pendaient là-bas au bout de ses jambes et une décision s’imposa.
Il lui fallait de nouveaux pieds.
Il remplit donc ses chaussures avec quelques orteils printaniers ramassés au hasard des rues, (ce n’est pas ce qui manque avec tous ces coureurs de bitume).
Dix feront l’affaire, c’est la norme. Cinq à chaque pied, il est conformiste, deux gros, deux petits, les autres au milieu en vrac, on sait jamais comment ils s’appellent…
Ils se mettent à remuer, c’est amusant, dix touches blanches qui pianotent de concert.
A accorder au reste du pied: tarses, métatarses, calcanéum, astragale, que de jolis mots qu’il aura prélevé sur une planche d’anatomie.
Deux pieds, deux bases solides, deux appuis sur lesquels il pourra compter le jour du déconfinement et les matins de grand vent.
Deux ancres plantées dans la terre. Des pieds à randonner, à kilomètres, à suivre un chemin voire à le tracer; des pieds à trottoirs mais aussi des pieds à coucher des herbes, à gravir les montagnes, à fuir les souris, à danser sous la pluie ou à marcher sur la lune.
Des pieds beaux et agiles, chevillés aux jambes.
Les jambes… ces tibias bosselés, ces genoux proéminents, ridicules…
